Dessine-moi un trou noir !
C’était une nuit d’octobre, et la Nuit des musées faisait le plein à Mons. Ce soir-là, il n’y avait pas un, mais bien deux Petits Princes, guidés par leurs compagnons chercheurs*, sur la planète MUMONS ! Avec un dress code de physiciens théoriciens européens – plus classiques que « Sheldon et Léonard » – ils n’avaient qu’un seul rêve : explorer l’invisible ! Dans une salle qui avait tout d’une scène de spectacle, avec de véritables spectateurs, ils étaient impatients de dévoiler leur « mise en scène ». Et pour une première – à la fois pour eux en tant que performeurs, mais aussi pour le musée qui proposait cette performance artistique d’un genre nouveau – tout cela semblait d’un naturel déconcertant !
Il y avait des fauteuils capitonnés gris, un tapis rond aux poils longs, de la tisane à infuser, et deux tableaux noirs prêts à recevoir des coups de craie et des passages de brosse. Pendant deux heures, les calculs ont pris leur envol comme dans une valse à mille temps, entre équations et dérivations à n’en plus finir. C’était beau à voir.

Nicolas Boulanger est professeur, chef de service de Physique de l’Univers, Champs et Gravitation de l’UMONS.
Histoire des sciences, trous noirs et distorsions du temps…
Le plus étonnant encore, c’est que le public – averti ou profane – découvrait comment, au quotidien, les physiciens se retrouvent dans des espaces très cosy pour discuter et élaborer des théories aussi improbables que rigoureusement formelles. Ce même univers a été recréé pour permettre aux spectateurs – et visiteurs du musée, puisque la solution de Schwarzschild est exposée au musée – de suivre en direct, et même en différé, la résolution d’un des calculs les plus célèbres de l’Histoire !
Ce calcul complexe, initialement formulé dans le cadre de la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, a permis de faire émerger le concept extraordinaire du fameux trou noir de Schwarzschild, un astre si massif que même la lumière ne peut s’en échapper.
Passionné, entre autres, par l’histoire des sciences, Francesco Lo Bue, physicien et directeur du MUMONS, accueillait le public curieux qui entrait dans la salle, en partageant avec lui l’histoire et le contexte originel de ce calcul. Car l’histoire est extraordinaire et très triste à la fois.
Einstein et Schwarzschild
Pour ceux qui ne le sauraient pas, c’est Karl Schwarzschild qui, en 1915, fut le premier à trouver une solution exacte aux équations de la relativité générale, peu après la publication de la théorie par Einstein. Il réalisa cet exploit alors qu’il servait sur le front, en pleine Première Guerre mondiale.
Appelé sur le front russe pour effectuer des calculs balistiques, Schwarzschild travailla également, entre deux campagnes de tirs, sur le cas d’une étoile parfaitement sphérique, homogène et qui ne tourne pas. Une hypothèse simplificatrice qui lui permit de résoudre les équations d’Einstein et de découvrir ce qu’on appelle aujourd’hui la « solution de Schwarzschild » à l’origine du concept de trou noir.
Impressionné, Einstein échangea plusieurs lettres avec lui, admirant son travail. Cependant, tous deux restaient prudents quant à la validité physique de cette solution, tant elle leur paraissait étrange et contre-intuitive à l’époque.
Malheureusement, les terribles conditions de vie sur le front, marquées par une forte humidité et des privations, affaiblirent la santé de Schwarzschild. Il contracta une maladie de peau sévère qui le tua assez rapidement.
Timelapse de la performance
Pour plonger dans le trou noir de Schwarzschild, cliquez ici (en ligne prochainement) ! Et si vous voulez voir l’œuvre d’art de vos propres yeux, l’exposition Explorer l’Invisible est accessible jusqu’au 13 avril 2025 ! Car, quoi de plus invisibles que les énigmatiques trous noirs qui, ironie de l’histoire, ont été découverts grâce à des concepts totalement abstraits ?

Andrea Campoleoni est chercheur qualifié du F.R.S.-FNRS, le Fonds de la Recherche Scientifique, au département de Physique de l’UMONS.

*William Delplanque et Nicolas Maindiaux, deux doctorants au service de Physique de la Faculté des Sciences de l’Université de Mons, ont été les fidèles compagnons de Nicolas Boulanger et Andrea Campoleoni tout au long de la prestation !
En effet, les calculs en physique théorique sont si longs et complexes qu’il est nécessaire d’être plusieurs pour les mener à bien. William et Nicolas consignaient sur un calepin (et non pas au tableau !), les étapes clés du calcul, comme les dérivations.
Comme on a pu le voir en live, travailler en équipe permet de se questionner, de réfléchir ensemble, et de ne rien oublier pour ne pas se perdre dans l’immensité de l’Univers 🙂
