Entrez dans l’Histoire globale des techniques…
Et si on parcourait paisiblement L’Histoire globale des techniques, du XIXᵉ siècle à nos jours, en compagnie d’un historien qui pour l’heure, se fait aussi conteur ? Kevin Troch, gestionnaire de nos collections, nous invite à une balade dans le chapitre consacré aux mines et aux industries extractives. Un sujet qu’il affectionne tout particulièrement, lui qui en a fait sa spécialité !
C’est en pleine période de confinement (alors que le monde relevait des défis farfelus sur les réseaux) que trois chercheurs français – Guillaume Carnino, Liliane Hilaire-Pérez, Jérôme Lamy – ont approché notre expert en patrimoine. Une aubaine pour lui que d’être coincé à la maison entre des piles de livres et des pages blanches à noircir et pouvoir ainsi contribuer à une partie de ce tome de 781 pages, mobilisant une trentaine d’intervenants à l’international !
Entretien avec ce passionné d’objets anciens, de vieilles machines scientifiques et de récits de mines où la poussière du passé laisse entrevoir un monde révolu, presqu’imaginaire…

Dis-nous, Kevin, quels sont les grands axes que tu explores dans ce chapitre de synthèse lié aux mines et aux techniques extractives ?
J’ai décomposé toutes les étapes de la vie d’une mine : du sondage pour repérer les gisements jusqu’au forage et à la mise en exploitation. Ensuite, je me suis intéressé à tout ce qui se passait à la surface des mines au niveau du traitement des minerais. Et enfin, une fois que la mine ferme, la mine continue à exister d’une certaine manière car il reste toujours des déchets à gérer et des problèmes environnementaux à traiter.
Je me suis surtout concentré sur les grandes mines industrielles, mais j’ai aussi voulu réserver une place aux mines artisanales et aux mines de minéraux de collection. L’idée, c’était vraiment de rester le plus englobant possible, dans la lignée de l’esprit du livre.
Et puis, dans chaque grande étape de la vie d’une mine, j’ai exploré les différentes évolutions techniques. Au tout début du XIXᵉ siècle, on faisait des forages assez rudimentaires, puis avec l’arrivée de l’électricité, on a pu développer des sondages par l’électromagnétisme, et même utiliser la sismologie en faisant exploser des charges dans le sous-sol.
Ta thèse, à l’époque (pas si lointaine), portait sur les impacts environnementaux de l’extraction du charbon. Ici, tu t’attaques à un gros morceau avec toutes les mines : charbon, cuivre, uranium, métaux, cristaux… Tu as dû en découvrir des choses ! Qu’est-ce qui t’a le plus marqué en explorant toutes ces formes d’extraction ?
J’ai été impressionné par les mines d’uranium ! On n’imagine pas à quel point c’est lourd de conséquences. Il faut extraire des quantités énormes de roche pour en tirer une toute petite fraction de minerai. Et pour traiter le minerai, il faut utiliser des condensateurs, des produits chimiques, parfois même les injecter directement dans le sol… Ensuite, il faut retirer toutes les boues contaminées, et tout ça, évidemment, c’est extrêmement toxique. Le produit final reste très limité par rapport à toute la roche extraite et les dégâts engendrés sur l’environnement.
Ça m’a aussi permis d’étudier tout ce que les professeurs et chercheurs de la Faculté Polytechnique de Mons avaient pu faire. Notamment Théophile Guibal, l’un des premiers professeurs de l’École des mines, à qui une statue rend hommage dans la cour de la Polytech (NDLR : le poseur d’Houdain). Il avait inventé un ventilateur pour aérer les galeries et y amener l’air frais aux mineurs. Impressionnant, alors qu’il enseignait en même temps ! Et puis, de fil en aiguille, j’ai découvert les documents de son brevet, des extraits de cours qu’il a donnés… Franchement ? J’aimerais encore aller plus loin à partir de ses notes et retracer le processus de recherche qui l’a mené à cette invention mais ça, ce sera quand j’aurai le temps (petits rires sourds).

Tiens, et si tu nous expliquais comment, en tant que gardien du patrimoine de l’UMONS, tu t’y prends pour conserver ces instruments anciens, précieux… aussi remarquables que fragiles ?
Ça dépend des matériaux. En général, il y a assez peu de risques liés à la luminosité, sauf peut-être pour certains plastiques. Ce à quoi il faut surtout être attentif, c’est à l’humidité ! En particulier lorsqu’il s’agit d’objets scientifiques en bois ou en métal, parce que ça peut rouiller ou pourrir. Et puis, quand on manipule des instruments d’un autre temps, que ce soit pour les exposer dans nos vitrines au musée ou lors d’un évènement à l’extérieur, il faut bien connaitre leurs spécificités. Certains peuvent se morceller, il faut donc y aller avec précaution !
Confidence pour confidence, tu nous dirais bien quel objet technique de nos collections t’impressionne le plus ?
Sans hésitation, je dirais le panneau de contrôle électrique utilisé en labo de génie électrique au Boulevard Dolez. Ce beau grand panneau date des années 1900. Il est tout en marbre et donne l’impression d’être aux commandes du Nautilus ! Avec son style steampunk, ses grosses manettes, son imposant levier… il est très chouette et me fascine.


Pour en revenir au chapitre qui nous intéresse, peux-tu nous parler de la plus grande avancée technique dans les mines ?
Pour moi, c’est l’électricité ! Avec elle, on peut efficacement éclairer les sous-sols, faire fonctionner une floppée d’objets qui facilitent le travail des mineurs et même, à l’heure actuelle, utiliser des robots pilotés par l’IA, des drones ou ce genre de technologies pour remplacer les mineurs. L’adaptation des techniques liées à l’électricité pour le travail dans les mines, c’est vraiment la plus grande évolution technique ! Elle permet d’accélérer et d’augmenter le rythme d’extraction, d’améliorer la sécurité, de diminuer la pénibilité du travail… Ceci dit, toutes les mines ne fonctionnent pas comme ça. Les mines de cobalt, par exemple, sont encore fort artisanales avec un travail très pénible et dangereux.

Maintenant qu’on aborde le thème de notre prochaine expo Électrique !, peux-tu nous parler d’un objet qui a été très utile dans les mines et qui sera prochainement exposé au musée ?
Ce qui a vraiment changé la vie des mineurs, ce sont les ampoules ! Avant, ils s’éclairaient avec des lampes fermées, à flamme… c’était super dangereux – surtout dans les mines à charbon où ça pouvait provoquer des explosions. Tandis qu’avec l’ampoule électrique, tant que l’étincelle reste contenue dans le verre, il n’y a aucun risque. Et ça éclaire très fort en plus !
On peut dire que l’éclairage électrique a clairement apporté la lumière dans les ténèbres… Avant, les galeries étaient tellement sombres que les mineurs finissaient très souvent avec des problèmes de vue, et parfois même aveugles.
On a abordé l’électricité, mais selon toi, quelle sera la prochaine grande évolution technique dans les mines… la prochaine grande étape historique ?
Sans doute l’automatisation complète des mines. Plus besoin de mineurs, juste des ingénieurs dans une salle de contrôle et tout le reste se gèrera par des robots ou des drones. Des mines sans humain en quelque sorte.
Sinon, il y a aussi deux grands projets un peu fous qui se développent : les techniques d’exploration des fonds marins, et celles déployées sur les astéroïdes et autres corps célestes. Dans les fonds marins, on trouve des nodules polymétalliques bourrés de minéraux différents. Dans l’espace, et plus particulièrement sur les astéroïdes, il peut y avoir de l’eau gelée utile comme carburant pour les vaisseaux, mais aussi des métaux et minerais précieux comme la platine, le palladium… et même de l’or !

Tout cela vaut évidemment une fortune. Les Américains et les Luxembourgeois s’y intéressent d’ailleurs de très près !
On raconte aussi que Mercure contiendrait une couche entière de diamant… Imagine tous les riches qui rêveraient de s’offrir un diamant venu de Mercure.
L’histoire des techniques… a-t-elle encore la cote auprès des chercheurs ?
Oh oui ! C’est vraiment un domaine en plein développement. Tous les objets techniques et scientifiques, depuis une bonne dizaine d’années, intéressent fortement les chercheurs, notamment du côté de ce qu’on appelle l’histoire matérielle des savoirs et des pratiques savantes.
Avis aux students, donc !