Saint-Véran, l’épopée astronomique (dernier épisode)
Dans le précédent épisode, Francesco nous emmenait sur le toit de l’Observatoire du pic de Château-Renard. Un haut-lieu de l’astronomie, à près de 3000 mètres d’altitude où, même sous un ciel bleu immaculé, le vent fouette et l’air pique. Il nous a fait savourer chaque instant de ce périple, dans le cercle intime de son groupe, en partageant en détail chaque observation, chaque découverte et chaque défi technique relevé par ces intrépides chercheurs qui n’ont reculé devant rien pour investiguer chaque parcelle de ce vaste et exigeant terrain et revenir avec de précieuses données scientifiques, et bien sûr la fameuse photo des 400 qui complètera notre nouvelle exposition “Explorer l’Invisible – 3e édition“.
Et comme toute belle histoire a une fin, les derniers jours de cette incroyable mission feront la part belle à deux emblèmes montagnards : la marmotte siffleuse et l’élégant bouquetin. Des espèces aux particularités bien distinctes qui ont su émerveiller nos biologistes. On vous laisse donc découvrir la fin de ce séjour à travers les récits de Francesco et les images saisissantes, et trop mignonnes, tournées par l’équipe elle-même 😍
Jeudi 20 juillet
Dernier jour de mission pour Maria et moi. Les copains descendront quant à eux dimanche matin.
Les biologistes tentent de profiter du peu de temps qu’il leur reste pour mener à bien quelques expériences qui pourraient s’avérer intéressantes pour leurs étudiants. Ils observent le comportement des marmottes et des étagnes. Ils réussissent même à filmer des marmottons en train de téter leur maman ! Ils installeront du matériel pour comparer les paramètres physiques et biologiques de deux surfaces identiques orientées différemment par rapport au Soleil.
Victor et Julien s’affairent à analyser la quantité phénoménale de données obtenues, notamment pour la photo des 400 à destination d’Explorer l’Invisible. Ils vont même jusqu’à répartir le travail sur cinq ordinateurs différents, tant l’opération est complexe pour les machines !
Nous sommes tous un peu épuisés. Nous tentons de nous reposer dans la salle de vie… mais tout est sujet à discussion à échange. C’est dingue.
Michel nous montre ses premiers résultats, époustouflants, obtenus via la technique raffinée de la spectrohéliographie, technique que Michel a mise en œuvre pour la première fois durant la mission. Il a utilisé l’un des spectrographes qu’il a construits via une imprimante 3D, en utilisant les plans imaginés par le fameux Christian Buil.
Grâce à son spectro, Michel choisit la couleur qui l’intéresse parmi l’infinité de couleurs émises par le Soleil. Il peut par exemple choisir le fameux rouge H-Alpha, et recréer, tranche après tranche, une image complète du soleil rien qu’en laissant défiler ce dernier au travers de la fente de son spectrographe.
Certes le processus est un peu plus lourd que simplement jeter son œil à l’oculaire d’un coûteux instrument dédié au H-alpha solaire. Mais le spectro de Michel permet, lui, de recommencer immédiatement avec une autre couleur… c’est bluffant. Mieux, son image du disque solaire, qui montre protubérances, filaments, zones actives, prouve également que le Soleil tourne sur lui-même, car la lumière rouge H-alpha émise par une zone qui se rapproche de nous a tendance à être — à cause de l’effet Doppler — un peu moins rouge, alors que celles qui s’éloignent sont plus rouges. Clairement, la technique est prometteuse ! Et il n’en est qu’au début.
Maria invite toute l’équipe à l’extérieur pour la traditionnelle photo de groupe. Ensuite, elle lance l’opération interview de Victor et Julien pour la photo des 400. Tout est prêt, nous sommes dans la salle de contrôle, lorsque nous nous rendons compte qu’un magnifique coucher de Soleil se prépare, bien plus beau que tous ceux que nous avons pu admirer durant la mission.
Nous nous précipitons à nouveau dehors. Nous nous retrouvons pratiquement tous au pied de la grande coupole. La vision du soleil couchant sur la barre des écrins d’un côté et l’apparition de l’arche anti-crépusculaire côté Viso semblent irréelles. Extraordinaire. Victor immortalise cet instant de joie communicative. Il réalise en quelques instants des photos inouïes de nous tous. C’est un peu la conclusion de la mission avant l’heure.
À l’intérieur de la base, c’est encore l’euphorie. Maria décide d’immortaliser ces instants. Elle cueille au vol les ambiances sonores, interviewe les uns et les autres : Sébastien, Liv, Thomas, Xavier et Renaud. J’observe les scènes de joie et de rire. La spontanéité est partout, quelle atmosphère extraordinaire !
Mais bon, il faut avouer que nous prenons tellement de temps à savourer cette ivresse de vivre, que peu d’entre nous pensent à préparer le repas. Il est 20 heures quand Bruno, courageusement, prend le problème à bras-le-corps. Il reçoit certes un peu d’aide, mais tout prend du temps ici. Le repas sera servi à 23h30. Et nous commençons seulement à refaire le monde…
Je dois être un peu raisonnable. Il n’est pas loin de 1 heure du matin et ma valise n’est pas encore bouclée. La nuit sera — pour ne rien changer — des plus courtes.
Vendredi 21 juillet
Sébastien a animé toute la nuit. Il ne s’est pas encore couché. Une tasse de café revigorante, et il nous rejoint. Le moment est venu de saluer le reste de la troupe, cette équipe bienveillante et riche de talents. Bien au-delà de ses nombreux atouts techniques et scientifiques, elle est surtout riche en humanité.
Certains se sont expressément levés pour venir nous saluer.
Nous embarquons.
Dieu que les paysages sont beaux, surtout mis en valeur par cette lumière chaude et rasante… Nous ne pouvions rêver mieux pour clôturer cette mission.
Ces 40 minutes de descente constitueront encore un petit moment d’éternité. Nous apprenons encore un peu plus à apprécier Sébastien, cet observateur du monde, ce personnage au parcours atypique.
Il nous confie qu’un jour, une marmotte blessée au visage a trouvé refuge près de l’observatoire, à une altitude où aucune d’entre elles n’avait encore osé passer trop de temps. Jour après jour, son état s’est amélioré. Et puis elle s’est installée là. La première à le faire. Et puis un jour, elle a eu des petits. Et une famille de marmottes vit désormais là-haut.
Mais pas question d’être distrait, car les marmottes courent dans tous les sens, c’est impressionnant !
Nous progressons vers la vallée située à 2000 mètres. Sébastien nous raconte encore une histoire de berger. Et puis voilà que surgissent devant nous deux magnifiques chevreuils éclairés par la lumière du levant. Ils s’arrêtent un peu en contrebas et nous observent. Rencontre improbable entre espèces vivantes. Waouh. J’en reste sans voix.
La fin de la piste est en vue. Ma voiture est là, prête à nous rapatrier vers le plat pays. Petit pincement au cœur. L’adage ne dit-il pas qu’il faut partir pour mieux revenir ?
Je ne sais comment remercier Sébastien et AstroQueyras, et tous ceux qui, génération après génération, ont fait du rêve une réalité.
Nous reprenons la route. Dernier passage par le col de l’Izoard. Peu à peu les montagnes vont disparaitre du paysage.
Les copains redescendront tous dimanche, emportant avec eux cette sacrée horloge atomique. En guise d’épilogue provisoire, Magnus et Bruno, sur la route de Bruxelles, repasseront chez moi pour se sustenter. Il sera 23 heures. Ils repartiront au-delà de minuit pour aller déposer l’horloge à l’Observatoire royal. L’horloge devra tourner encore quelques semaines pour montrer qu’elle fonctionne toujours parfaitement, et que l’avance qu’elle devrait avoir accumulée était bien due au champ de gravité plus faible au niveau de l’observatoire. Bruno rentrera se coucher à 5 heures du matin. Du pain sur la planche les attend durant les prochaines semaines.
Thomas est rentré en Corse où il va exploiter les données du scan 3D de l’observatoire. Je suis impatient d’en découvrir le résultat !
Michel nous réserve quelques surprises dont lui seul a le secret.
Victor et Julien vont s’arracher les cheveux — surtout Victor, hein Julien, ahahah — en traitant les monstrueux fichiers qu’ils ont générés ; je les ai déjà mis en contact avec l’équipe scéno de notre nouvelle expo Explorer l’Invisible pour voir comment intégrer cette photo des 400.
Les biologistes ont déjà des idées plein la tête pour la suite.
Quant à nous, nous allons confier les enregistrements sonores à Maxime, en vue de préparer un futur podcast du MUMONS… Et puis, nous devrons imaginer le moyen de valoriser au mieux le projet Horloge.
Ce séjour là-haut a donc permis de semer de nombreuses graines. Certaines germeront dans les prochaines semaines, d’autres dans les prochains mois ou même plusieurs années.
Et vous, quand monterez-vous là-haut ?
Cieli sereni.
Francesco Lo Bue