Saint-Véran, l’épopée astronomique (épisode 2)

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Dans le précédent épisode, Francesco et son équipe de scientifiques entamaient leurs aventures dans les hautes altitudes du Queyras, plus exactement à l’Observatoire du pic de Château-Renard. Une coupole, quasi extraterrestre, isolée de toute civilisation, avec comme seuls sons, le crissement du vent et le cri de la marmotte. Un lieu paisible, propice à la recherche. Vous aviez fait la connaissance d’un bon groupe de passionnés, hors du commun, prêts à tout pour débusquer l’invisible. Aujourd’hui, vous ferez la sympathique rencontre de Thomas, un Corse, pro de la 3D…

Nous revoilà donc plongés au cœur du carnet de voyage de Francesco, le jusqu’au-boutiste, qui raconte jusque dans les détails les plus subtils et c’est ce qui rend ses histoires si prenantes chaque jour de cette épopée astronomique. On vous laisse donc entre ses mains, pour une envolée littéraire dans les montagnes de Saint-Véran !

Mardi 18 juillet

Il est 5 heures. J’ouvre les yeux. Notre chambrée compte 4 lits, mais celui de Julien est toujours vide… C’est qu’il n’est pas encore rentré de sa nuit, les capteurs ont dû frémir grave ! De bon augure tout ça.

Il est temps pour moi de me lever. J’enfile rapidement les inévitables couches qui me permettront de survivre au froid quasi polaire qui règne à l’extérieur de la base.

Bruno, Maria et moi quittons la station, direction le sommet du pic de Château-Renard. Le ciel est déjà clair. Seul Jupiter est encore visible. Et toujours ce vent… Je dois bien vous avouer ne pas en mener large sur ces hauteurs vertigineuses. Les bâtons de rando sont plus utiles que jamais. Mais l’envie de m’immerger dans ces paysages déments et de profiter de chacun de ces instants est plus fort que tout. Nous arrivons là-haut. Ça fouette sec.

Le pic se présente un peu comme la proue d’un navire, mais entouré sur 270 degrés d’un précipice qui tombe à pic sur 700 mètres de dénivelé. Chacun de mes pas est millimétré, mes rares mouvements sont saccadés, je suis un peu tétanisé par le stress de tomber. J’essaie de trouver un endroit pour m’asseoir en sécurité. Les lueurs de l’aube sont déjà là.

Le petit groupe de touristes encadré par Sébastien est en train de nous rejoindre. Je montre l’arche anti-crépusculaire et la ceinture de Vénus à l’un d’entre eux, un habitué de la haute montagne qui habite dans la région. Très chouette personne avec qui je continuerai à discuter plus tard autour d’une tasse de café. Ce matin, l’horizon est trop brumeux et voilé pour espérer être touché par le rayon bleu. Mais le spectacle de cette lumière qui inonde les paysages n’est à nul autre pareil… Même si j’ai connu ici de plus beaux levers de Soleil, avec des teintes plus chaleureuses, le spectacle est superbe.

Les touristes redescendent. Nous restons encore ici, à contempler. Roche Brune, la Barre des Écrins, la Tête des Toillies, le Viso, le Pain de sucre… À aucun autre moment de la journée, les jeux d’ombres et de lumière ne soulignent à tel point les reliefs lunaires qui nous entourent. À encourir le risque de me répéter, ce que je vois, vis, ressens ici, est quasi mystique. Je reste sans mots.

Nous redescendons vers l’observatoire, nous arrêtant ici et là pour photographier telle fleur ou admirer tel pan de paysage. Nous espérions apercevoir les étagnes ce matin, mais elles en ont décidé autrement.

Arrivés sur la devanture de la base, quelle n’est pas notre surprise lorsque nous tombons nez à nez avec une marmotte en train de s’amuser au pied de la voiture de Thomas. Nous nous approchons. La voilà qui disparait dans un terrier situé à deux mètres seulement de la plateforme ! Là, plus bas, en voilà une autre. Et puis encore une ! Et voilà que l’une se couche sur le dos, et que l’autre lui fait un câlin avant de repartir ensemble. Impressionnant. Les abeilles quant à elles ne cessent de travailler. Il faut aller vite avant que la belle saison ne se termine. Quel superbe début de journée. Même si l’heure est déjà venue d’aller se recoucher.

Plus tard dans la journée, nous partons explorer la superbe zone de rocaille située en contrebas de l’observatoire, côté Saint-Véran. Un sentier et des paysages qui semblent issus du « Seigneur des anneaux ». La flore est extraordinaire. Grâce à Maria (NDLR :  qu’on remercie encore pour ses somptueuses photographies), je découvre l’étendue et la richesse de l’extraordinaire biodiversité du lieu à cette saison. Coup de cœur pour la joubarbe et la silène acaule. J’adore, waouh. Là un névé, ici un faucon… et ce vaisseau spatial qui survole lentement la vallée tel un bombardier menaçant, c’est un majestueux vautour. Mais quel spectacle !

De retour à l’observatoire, nous relatons à Sébastien nos observations. Il s’avère être un fin connaisseur de la faune et de la flore alpines qu’il suit tout au long de l’année. Maria et Sébastien ne cesseront de partager leurs observations respectives. Mais que ces rencontres sont riches ! 

Le moment est venu pour nous de passer aux choses sérieuses. Quelques jours avant le départ, en effet, Camille, notre cheffe comm’ au MUMONS, nous avait confié une mission, à Maria et moi. Vu les expériences hors du commun que l’équipe avait programmées, nous devions d’une manière ou d’une autre tenter de ramener le maximum d’informations, via des photos, des interviews, des vidéos. Maxime avait formé Maria à l’utilisation de la Tascam, dispositif professionnel qu’il utilise pour ses podcasts. 

Le brainstorming avait permis de définir plusieurs pistes. L’expérience de l’horloge atomique est si dingue en soi qu’elle doit pouvoir faire au moins l’objet d’une capsule vidéo didactique. Le making-of de la photo des 400 pourra être exploité pour teaser notre expo Explorer l’Invisible. Les manips d’éthologie des biologistes pourront aussi servir pour des capsules didactiques à destination des élèves du secondaire. Les manips de spectro prévues par Michel pourront être utilisées dans le cadre de nos activités de vulgarisation et dans celui des travaux pratiques du cours Univers. Quant au scan 3D de la base vie que doit réaliser Thomas, il pourra être remis à l’association AstroQeyras pour promouvoir les missions là-haut.

Mais voilà, maintenant que nous sommes à 3000 mètres, nous nous rendons compte que les jours et les nuits défilent à une vitesse prodigieuse. La quantité d’infos que nous avions naïvement prévu de ramener semble étrangement inversement proportionnelle au peu de temps qu’il nous reste avant de redescendre, mais on fera ce que l’on peut.

C’est donc ce mardi après-midi que nous commençons le travail. Mais par où commencer ?

Je couche rapidement sur papier les questions que j’aimerais idéalement poser à Magnus et Bruno. Cela fait plusieurs jours que nous avons l’occasion d’échanger avec eux sur cette expérience qui se révèle bien plus subtile qu’il n’y parait. Victor, en particulier, s’est pris de passion pour la relativité générale ; ses questions sont d’une pertinence déconcertante. Et vu ses talents d’animateur, c’est lui qui posera les questions. Maria gère tous les aspects techniques. Elle choisit les lieux de tournage… et elle décide de nous emmener… sur le toit de l’observatoire ! En effet, c’est là que Magnus a installé la fameuse antenne qui permet aux récepteurs de capter en permanence les signaux en provenance des satellites de positionnement.

Bon, monter jusqu’à 3000 mètres pour vivre une semaine dans un observatoire, c’est déjà une sacrée expérience en soi. Mais accéder, qui plus est, au toit de l’observatoire, sous un ciel d’un azur profond, fouetté par le vent, entouré d’un immense cirque de montagnes majestueuses, pour causer d’une manip totalement cinglée, cela s’annonce jouissif. Et cela le sera.

Maria s’inquiète de ce que donnera la captation des interviews sur le toit, vu la force du vent. Elle propose plutôt de tourner des images sur le toit, sur fond de répétition d’interview. La vraie interview sera capturée dans un second temps, dans la salle de contrôle du télescope T62.

Nous nous rendons sur le toit en sortant par la fenêtre de la salle de contrôle. Voir Magnus, notre colosse venu du Nord, se tenir fièrement debout sur le toit, défiant Éole, Bruno super détendu installé sur l’un des pignons, parler de l’expérience à Victor, lui-même super zen. Maria tourner des images carrément couchée sur le toit… Je constate l’étendue de notre folie collective. Nous avons tous la banane, comme drillés par la joie intense de vivre ces instants prodigieux. Dingue. Tout cela est tout simplement dingue.

Nous retournons à l’intérieur de la base. Cette fois, place aux interviews, les vraies, celles que Maria se prépare à mettre en boîte. Victor gère le jeu des questions-réponses de main de maître. Nous connaissions ses nombreux talents, mais là il nous sidère une fois de plus ! Magnus nous impressionne quant à lui non seulement par son aisance face au micro, mais aussi par sa maîtrise de la vulgarisation scientifique. Et Bruno assure comme jamais. Quelle équipe de feu ! Nous sommes explosés de fatigue, mais ces instants sont jubilatoires.

Nous rejoignons le reste de l’équipe dans la petite cuisine.

Une autre urgence se fait jour. Après avoir discuté avec Julien et Victor, il s’avère que nous sommes tous les trois d’accord quant à la nécessité de remplacer deux des photos de nébuleuses déjà sélectionnées pour Explorer l’Invisible par des images bien plus belles et originales qu’ils ont obtenues récemment et qui ont été primées. Petit courrier à Laetitia, commissaire de l’expo, qui me répond aussitôt. Ok, j’ai le feu vert, mais à condition de tout envoyer, cartels compris, pour le lendemain. C’est chaud, il ne faut pas trainer ! C’est que la mise en place d’une expo demande une très grande rigueur, tant les opérations doivent se succéder les unes aux autres sans accroc.

Julien et moi nous isolons pour tenter de rédiger les nouveaux cartels. Le premier ne demandera pas beaucoup de modifications. Par contre, pour le second, tout est à réinventer. La photo en question est celle d’un immense complexe nébulaire que Julien avait photographié il y a peu, un peu par hasard, dans la constellation de Céphée – pour connaître le contexte de la prise de vue, il faudra venir découvrir l’expo en visite guidée (trop long à raconter ici !). La nébuleuse est somptueuse, mais Julien attire mon attention sur deux objets particuliers : le premier, en haut à gauche – une belle étoile orangée – est une étoile dite de type Wolf-Rayet, et le second, en bas à droite, présente l’aspect d’une petite tache bleutée allongée, c’est une nébuleuse planétaire. J’appelle l’ami Michel à la rescousse, c’est lui notre spécialiste en astrophysique. Il me briefe rapidement sur les Wolf-Rayet. Waouh. Il y en a des choses à dire : une étoile supermassive, bien trop massive pour vivre longtemps, qui souffle un monstrueux vent stellaire… et dont la destinée est d’exploser en une cataclysmique supernova ! Tout l’opposé de la petite nébuleuse déjà citée, qui est liée à la mort lente d’une petite étoile, qui doit fortement ressembler au Soleil. On tient là le fil rouge de l’image, deux destinées radicalement différentes, dans le même champ de vision. Et qui plus est, dans les zones a priori les moins spectaculaires de l’image. « Explorer l’Invisible », disait-on.

Et voici que Michel demande à Julien quelles sont les coordonnées de cette fameuse Wolf-Rayet car il va tenter d’en capturer le spectre ! Quand je vous disais que l’émulation et les collaborations que favorise ce genre de mission peuvent générer des étincelles.

Après avoir diné, nous sortons pour tenter une première interview sur le terrain. Mais voilà que Victor avait sorti le télescope Dobson de l’observatoire : un instrument relativement puissant – son grand diamètre lui permet de collecter beaucoup de lumière –, facile à utiliser, qui devrait déjà nous permettre de nous rincer l’œil en guise d’apéritif, avant de passer aux instruments sous coupole. En dépit de la qualité moyenne du ciel, certaines images ne sont pas mal du tout, notamment celle de l’amas globulaire M13 dans Hercule et surtout celle de la galaxie M51, dite du Tourbillon… qui laisse deviner sa spirale.

Quel plaisir et quelle émotion de chercher à l’ancienne ces objets, sans aucune assistance électronique. Bon, nous n’avons pas trouvé toutes nos cibles, mais on s’est vachement bien amusés. Tout cela pendant que les dispositifs ultramodernes de Victor et Julien accumulaient en automatique les données pour la photo des 400.

Et pendant ce temps-là, Michel, toujours très discret, travaille en silence, imperturbablement. Avec Michel, c’est toujours un peu la même chose : il ne dit rien, travaille discrètement dans son coin, si discrètement qu’on finirait par l’oublier, et puis un jour, il vous sort des merveilles à vous couper le souffle, souvent du jamais vu. Tout le contraire de moi finalement : je parle, je parle, mais il n’y a pas grand-chose qui sort !

Nous rentrons nous coucher. Demain soir, mercredi, le moment sera venu d’observer à l’oculaire du T62, l’imposant télescope abrité sous la grande coupole historique. Mais il faut pour cela que je trouve un peu de temps pour préparer cette nuit : je dois choisir une liste d’objets célestes adaptés à la bête. Cela fait des jours que je dois le faire… C’est que, comme vous le devinez, nous ne connaissons pas beaucoup de répit.

Quelle journée !

Mercredi 19 juillet

Les journées défilent à une vitesse prodigieuse… Nous passerons cette nuit sur le pont du T62, à sonder notre environnement galactique et extragalactique.

Certes, les deux autres télescopes de 50 cm de diamètre de l’observatoire sont bien plus modernes, et offrent un terrible piqué… Mais scruter les profondeurs cosmiques depuis la coupole historique, se laisser bercer par le bruit caractéristique de l’ouverture du cimier, par ceux des moteurs du télescope, par le son de la manivelle que l’on actionne à la sueur de son front pour faire pivoter la coupole… Et des ritournelles : “Tu me dis si je tourne dans le bon sens ?” ; “C’est bon là ?” ; “Je continue encore un peu ?” ; “Attends, je suis mort ; je fais une pause” ; “Repose toi, je prends le relais”…

Cette année, nous allons bénéficier du fruit de tout le travail de bénédictin réalisé par Sébastien et l’équipe technique d’AstroQueyras. La collimation du télescope – opération qui consiste à réaligner correctement les miroirs de l’instrument afin d’optimiser la qualité des images – a totalement été revue il y a à peine deux semaines. Le pilotage de l’instrument a lui aussi été totalement repensé, et fait appel à un tout nouveau logiciel. L’équilibrage même du T62 a été retravaillé, en supprimant ces instruments placés en parallèle au tube principal, certes impressionnants mais totalement inutiles désormais et qui alourdissaient inutilement la machinerie.

D’autres améliorations arriveront dans un futur proche, comme la motorisation de la coupole elle-même, qui fera disparaitre cette petite saveur surannée qui contribuait au charme du lieu… mais mes pauvres muscles votent pour, sans hésiter !

Sébastien a rédigé une procédure test pour l’utilisation de la bête. Il nous l’a confiée. Il sera là pour nous aider à tout mettre en route. Nous jouerons les cobayes ce soir et lui ferons un retour le plus précis possible. Le dispositif actuel est encore un peu inconfortable, car le PC de contrôle se trouve au pied du télescope, et son écran est un peu trop éblouissant… Mais pas de panique, lorsque toute la technique sera validée, il réintégrera la salle de contrôle, et la coupole retrouvera son environnement habituel, plongé dans l’obscurité totale.

Afin de profiter au mieux de cette nuit vraiment noire, sans Lune, à 3000 m d’altitude sous l’un des plus beaux ciels d’Europe, avec du matériel qui en ferait rêver plus d’un, il faut impérativement disposer d’une liste d’objets à observer. Je ne peux pas me fier uniquement à mes lambeaux de souvenirs des « chouettes trucs à observer ». Et le légendaire répertoire « Beaux Saint-Véran » réalisé par Simon, Michel et les autres du GAAC, qui reprenait les plus beaux objets à observer au T62 n’est plus accessible, vu le changement de logiciel.

Je me rends donc dans la salle commune où se trouve la petite bibliothèque de la station. Mais je découvre Thomas en pleine opération de scan 3D de l’observatoire. C’est impressionnant, et là aussi, les manœuvres sont bien plus subtiles qu’il n’y parait ! Il m’explique avoir même dû démonter une porte pour réaliser les opérations voulues ! Je le laisse travailler, je reviendrai plus tard.

Il y a belle lurette que je n’ai plus moi-même préparé une observation. Heureusement, j’ai repéré l’un de mes vieux amis, un ouvrage de référence qui avait fait sensation à sa sortie il y plus de 20 ans, et qui occupe toujours une belle place dans ma bibliothèque personnelle : “The Night sky Observer’s Guide”. Deux gros tomes, l’un pour le ciel de printemps et d’été, l’autre pour celui d’automne et d’hiver.

Il avait été alors écrit pour une raison bien précise. Durant des décennies, le matériel d’observation pour les amateurs avait très peu évolué : les débutants s’initiaient avec une petite lunette de 60 mm de diamètre, puis passaient souvent à un télescope de 114, voire 150 mm de diamètre pour les plus chanceux. Le rêve ultime pour l’amateur éclairé était notamment le fameux Celestron 8 de 203 mm. Cette firme, comme d’autres, possédait bien dans son catalogue quelques instruments plus puissants encore, pouvant aller jusque 355 mm de diamètre, voire plus de 400 chez certains. Mais qui pouvait se payer de telles machines, aussi chères qu’intransportables ? Et puis vint la révolution Dobson : des télescopes que certains bricoleurs de génie construisaient à bas coût, sans aucune électronique, relativement transportables, mais avec des diamètres de plus en plus gigantesques : 400, 500, 600 mm de diamètre devenaient fréquents, et certains poussaient même le vice jusqu’à atteindre le mythique diamètre d’un mètre ! Avec de tels entonnoirs à lumière, c’était non seulement une vision toute autre des objets célestes habituels qui s’offrait à la communauté des amateurs, mais c’était carrément tout un nouveau pan de l’Univers qui devenait accessible ! Aucun ouvrage de référence n’existait pour aider l’amateur à s’y retrouver. Et c’est là qu’un groupe de “Dobsoniens” a rêvé et conçu cet ouvrage ! Que peut-on voir dans le ciel avec une lunette de débutant, un télescope de 114 ou de 200… mais aussi au travers d’un télescope de 500 à 800 mm de diamètre ?

Pour ce soir, je décide de me concentrer sur les constellations du moment, celles qui seront plein Sud, ou presque, durant l’observation : Sagittaire, Dauphin, Cygne, Pégase… ainsi que celles qui sont toujours là, les circumpolaires, mais qui nécessiteront d’orienter la coupole vers le Nord. Objectif : la grande Ourse et le Dragon.

La liste est prête. J’ai sélectionné une petite vingtaine d’objets : amas d’étoiles – ouverts ou globulaires – des nébuleuses diffuses, des nébuleuses planétaires, des galaxies, sans compter bien entendu une petite visite de courtoisie à Saturne.

Après l’effort, le réconfort. Nous partons nous immerger dans la lumière du couchant.

Un bruit de moteur se fait entendre. Ils avaient dit qu’ils viendraient quoi qu’il en coûte, même pour un simple aller-retour… et Xavier et Renaud sont bien là, top ! Et qui plus est, ils nous ont rejoints avec un tas de bonnes petites choses pour la fin de séjour ! Et lorsque, lors d’un épisode précédent, je disais que nous n’avions pas intérêt à oublier le moindre pot de confiture, c’était sans compter sur la possibilité d’être ravitaillés directement à l’observatoire. Ça c’est du service de livraison sur mesure !

Ils nous racontent leurs aventures durant le repas, et font connaissance avec Magnus et ceux de l’équipe qu’ils rencontrent pour la première fois. Les discussions sont de plus en plus passionnantes. Au menu pour ce soir, la notion d’espèce.

Après le repas, direction la grande coupole, en compagnie de Sébastien, qui nous aide à redonner vie à la bête.

Nous pointons pour commencer la nébuleuse M17 dans la constellation du Sagittaire appelée également, à cause de sa forme caractéristique, nébuleuse du Cygne ou nébuleuse Oméga. Nous l’avions observée avec le Dobson l’autre soir, et elle était déjà assez chouette. Nous sommes impatients de comparer les deux images… Et c’est le choc ! La nébuleuse est dense, lumineuse, riche en détails. Le piqué de l’image est dingue. La forme du cygne ici est bien entendu parfaitement visible. Un ensemble de filaments donne un aspect quasi tridimensionnel à la nébuleuse.

Nous disposons essentiellement de deux oculaires pour observer au T62, chacun de ces oculaires est un joyau optique qui nous donne l’impression d’observer au travers d’un hublot de navire, tant le champ de vision est grand. Notre plus petit grossissement ce soir est de… 442 fois !

Nous appelons les copains installés à l’extérieur et occupés à leurs projets spécifiques. Il faut qu’ils viennent voir ! Julien sort son smartphone et le place devant l’oculaire du T62, en le tenant simplement à la main… Il déclenche, et une photo impressionnante de la nébuleuse M17 apparait. Hallucinant.

Mais voilà, je ne sais pas de quoi le reste de la nuit et même de la mission sera faite au niveau météo. Je tiens vraiment à ce que les primo-montants comme Thomas et Maria puissent au moins avoir pu admirer l’une des stars du ciel d’été au travers de cet instrument, l’amas globulaire d’Hercule, M13, qu’ils avaient déjà pu observer au Dobson. Je sais que c’est le classique des classiques, qu’il n’y a rien d’original à le pointer. Mais l’important pour moi à cet instant est qu’ils puissent fixer dans leur mémoire l’image de cet objet magique, situé à plus de 20 000 années-lumière de la Terre.

Alors, que dire… L’amas observé au travers du T62 est grandiose. Le champ est parsemé de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers d’étoiles bleutées, avec une concentration de plus en plus élevée lorsque l’on se rapproche du centre. Vision classique, mais intense. Puissant et émouvant. Surtout si l’on prend conscience que l’objet observé se situe dans notre halo galactique, plus de 4 fois plus loin que la nébuleuse M17. Les amas globulaires sont des objets fascinants, toujours un peu mystérieux. Nous imaginons le ciel étoilé que nous pourrions admirer si nous vivions autour de l’un de ces soleils !

Le froid, le vent et la fatigue commencent à rendre la vie pénible au sein de la coupole. Il faut que les amis voient au moins encore l’une ou l’autre nébuleuse planétaire avant qu’ils ne rentrent se coucher. Nous demandons au T62 de pointer la Blink Nebula, NGC 6826, aussi un grand classique, mais que nous n’avions pas réussi à trouver au Dobson l’autre soir.

Il s’agit d’une nébuleuse planétaire, c’est-à-dire d’une petite nébuleuse qui, au premier regard, présente une ressemblance avec une planète. En réalité, aucun lien entre ce genre d’objet et les planètes. On doit cette appellation à William Herschel qui, peu de temps après avoir découvert Uranus en 1781, observe une petite nébuleuse, ronde, bleue verte, et dit « tiens, elle ressemble à Uranus », et invente cette appellation de nébuleuse planétaire.

On sait aujourd’hui que ces nébuleuses particulières sont liées à la fin de vie de petites étoiles, peu massives, comme notre Soleil. Avant que leurs cœurs ne s’effondrent, elles expulsent leurs couches les plus externes, donnant ainsi naissance à une nébuleuse en forme de disque, d’anneau, de bulle, de sablier… Au cœur de la nébuleuse, se trouve le joyau du système, encore chaud, le cadavre lumineux de l’astre défunt : un objet très petit, de la taille de la Terre, d’environ 10 000 km de diamètre, alors que l’étoile qui lui a donné naissance présentait probablement un diamètre dépassant allégrement le million de kilomètres ! C’est la fameuse naine blanche, l’un des trois cadavres stellaires possibles pour une étoile arrivée en fin de vie ; les deux autres étant l’étoile à neutrons et le trou noir.

Je reviens à notre Blink Nebula. On l’appelle de la sorte parce que si on la regarde au télescope « droit dans les yeux », la nébuleuse semble disparaitre, et seule la naine blanche reste visible. Par contre, lorsque l’on ne fixe plus l’astre central, mais que l’on regarde un peu sur le côté de l’objet, la nébuleuse refait son apparition. On peut ainsi s’amuser à faire clignoter la nébuleuse, en regardant tantôt en direction du centre de l’objet, tantôt sur son bord.

Ce drôle de phénomène s’explique par le fait que la vision humaine s’appuie sur deux types de récepteurs biologiques : les cônes, au centre de l’œil, pas très sensibles mais qui permettent de voir en couleur, et les bâtonnets sur le bord de l’œil, extraordinairement sensibles, mais qui nous donnent une vision en noir et blanc, à l’origine de l’expression « la nuit, tous les chats sont gris ».

Mais voilà, ici, le phénomène de Blink est difficilement observable… la faute à une image bien trop lumineuse, si lumineuse que même les cônes, moins sensibles, sont suffisamment irrigués en lumière et fonctionnent en permanence. Un peu décevant pour la disparition de cet effet amusant, mais encore une fois de bon augure pour le reste de la soirée !

À ce stade, nous nous retrouvons à deux avec Thomas. L’Univers est là devant nous, un grand télescope au top à notre disposition, désormais aussi facile à utiliser qu’un aspirateur ou un sèche-cheveux. Il suffit de se laisser porter et d’enchainer les cibles. Aucune ne nous décevra. Pour certaines d’entre-elles, nous aurions peut-être préféré disposer d’un oculaire qui grossisse un peu moins fort, pour d’autres au contraire, nous aurons pu monter encore en grossissement, mais dans l’ensemble, la nuit sera inoubliable. Inoubliable ! De temps en temps, l’un ou l’autre de l’équipe repasse par la coupole pour observer un peu avec nous. Thomas et moi resterons jusqu’au bout. Nous irons jusqu’à repositionner le télescope dans sa position de parking, jusqu’à le coiffer de son couvercle protecteur, jusqu’à fermer le cimier, avant d’aller nous coucher.

Alors qu’avons-nous observé d’autre cette nuit-là ? Nous nous sommes notamment éclatés avec différents amas globulaires. Je gardais un merveilleux souvenir de l’amas M22 dans le Sagittaire, que j’avais pu observer il y a une trentaine d’années depuis la Sicile, un objet splendide, tout aussi beau que le fameux M13 mais rarement observé depuis nos contrées plus boréales, car situé trop sur l’horizon chez nous. Mais ici… l’image est immense, riche, détaillée.

Dans le même genre, nous avons également observé l’amas globulaire M28, aussi dans le Sagittaire. De merveille en merveille. Ce télescope est lui-même une merveille. Puis, nous partons à la découverte d’objets totalement inédits pour moi, comme ces deux nébuleuses planétaires dans le Dauphin, NGC6891 et 6905, connue aussi sous le nom de Blue Flash Nebula. Je suis ému d’avoir la chance d’entrer dans l’intimité de ces astres délicats, ces petites bulles de gaz abritant ces astres exotiques et rares que sont les naines blanches. Et je pense à toute cette aventure intellectuelle et expérimentale qui a conduit à leur découverte, à leur compréhension. Et je les vois, avec mes propres yeux, ces naines blanches, si présentes et nombreuses dans l’Univers, et pourtant si difficile à percevoir. Des images tout en délicatesse. On aurait même peur de les déranger en les observant d’un peu trop près. Nous sommes des témoins privilégiés, ici au sommet de cette immense montagne, aux commandes de ces énormes instruments. Mais quelle chance !

Le temps passe. La constellation de Pégase est de plus en plus haute dans le ciel. Nous en profitons pour explorer par exemple le groupe de galaxies autour de NGC7331… À cet instant, Thomas me dit avoir lu que la Lyre accueille des galaxies en interaction. Je n’en avais jamais entendu parler. Je crains que cela ne soit quelque chose de très difficile à observer. Thomas le pointe. Je lui demande de ne rien me dire afin que je puisse décrire l’objet sans être influencé par une quelconque image ou description en amont. Je vois une nébulosité de forme un peu ovale, diffuse, qui devient sur la droite beaucoup plus étroite, linéaire et mieux définie. Thomas me montre ensuite la photo qui l’avait poussé à pointer l’objet… Extraordinaire : on retrouve tous les détails vus au T62 : la partie ovale et large et la partie étroite sont bien deux galaxies en interaction, waouh !

Thomas oriente l’instrument sur le grand classique du ciel d’été, M27, probablement la nébuleuse planétaire qui présente la plus grande surface apparente. Lors des belles nuits, avec un bon télescope, on aperçoit un objet dense, qui présente une forme de trognon de pomme. Mais ici… l’objet occupe pratiquement tout le champ de l’oculaire, gigantesque. Le trognon de pomme est bien visible, avec sa naine blanche au centre. Et puis une seconde structure, habituellement invisible aux instruments classiques, et que l’on ne voit qu’en photo, apparait. Comme une seconde enveloppe qui semble compléter le trognon.

Le moment est venu de porter notre regard vers les profondeurs cosmiques situées dans la direction du Nord. Parmi les cibles que nous avons retenues, quelques galaxies, et surtout la célèbre nébuleuse de l’Œil de Chat, NGC6543… Une nébuleuse des plus esthétiques et des plus célèbres.

C’est elle en effet qui a permis à William Huggins, vers la fin du XIXe siècle, de comprendre la nature gazeuse de la nébuleuse, à une époque où personne sur Terre n’avait la moindre idée de ce qui les constituait.

Huggins a observé cette petite nébuleuse bien contrastée au travers de sa lunette équipée d’un spectroscope de fabrication maison. À sa grande surprise, il observe que la lumière en provenance de l’Œil de Chat ne comporte que trois couleurs bien distinctes, située dans la gamme des bleu-vert… Or, les découvertes toutes récentes en spectroscopie montrent qu’une source présentant un tel spectre doit être composée d’un gaz peu dense et chaud… C’est une avancée essentielle !

Mais les couleurs observées par Huggins ne correspondent au spectre d’aucun élément connu. Pour Williams Huggins, la messe est dite : la nébuleuse en question doit être constituée d’un gaz inconnu sur Terre, qu’il baptise le nébulium… Les études ultérieures montreront que le nébulium n’existe pas, et que c’est l’élément oxygène qui est à l’origine de l’émission de lumière de l’Œil de Chat.

Et ce n’est pas tout… Cette nébuleuse a la particularité de se situer dans la direction du pôle Nord de notre système solaire, elle se trouve donc dans la direction perpendiculaire au plan de l’écliptique. L’image que nous en obtenons avec le T62 montre les étranges anneaux qui la constituent… Très chouette !

Nous pourrions continuer à écumer le ciel et ses merveilles, mais nous sommes physiquement épuisés. Signe qui ne trompe pas, lorsque Victor nous rejoint sous la coupole et se met à observer avec nous, il me pose des questions encore très subtiles. Je lutte à cet instant pour maintenir ouvertes mes paupières, devenues plus lourdes que jamais. Et je me rends compte que je suis en train de lui répondre en mode quasi automatique… Je m’entends lui répondre… C’est effrayant, mon corps et mon esprit sont en train de se dissocier, tant je n’en peux plus. Il faut impérativement que j’aille me coucher ! Il n’est pas loin de 5h du matin. Le Soleil se lève dans une heure…

La suite dans le dernier épisode 🙂