Saint-Véran, l’épopée astronomique (épisode 1)

Accueil » Actualités » Non classifié(e) » Saint-Véran, l’épopée astronomique (épisode 1)

Francesco. Rien que son nom évoque déjà l’aventure. Alors, lorsqu’il s’embarque pour une mission à l’observatoire du pic de Château-Renard, perché à 3000 mètres d’altitude, au cœur des montagnes du Queyras, avec une bande de physiciens, d’ingénieurs et de passionnés d’astronomie, c’est une véritable épopée qui se dessine ! Et de sa plus belle plume, parsemée de ses ressentis, ponctuée par les découvertes et les défis de l’équipe, Francesco nous livrera, jour après jour, avec toute l’humilité qu’on lui connait, les moindres détails de cette incroyable aventure humaine et scientifique.

Dans le coffre, une horloge atomique prête à défier les lois du temps et de la gravité. Dans le viseur, une curieuse envie de débusquer une salamandre farouche, une sérieuse ambition d’étudier un microquasar (NDLR : une étoile binaire contenant un trou noir) et l’idée, presque surréaliste, d’immortaliser les splendeurs de la Voie lactée à travers 400 millions de pixels, une photographie inédite qui figurera dans notre prochaine exposition. Ainsi s’amorce la mission Saint-Véran 2023 !

Au fil de l’histoire, et des aventures tirées du carnet de voyage de Francesco, vous ferez la connaissance de Magnus, le colosse de Suède, Michel, le chercheur de trou noir, Bruno, le gardien du temps, Maria, la traqueuse de salamandre à qui on doit toutes ces belles photos, Xavier et Renaud, les biologistes complices, Victor et Julien, les maitres astrophotographes et Sébastien, le capitaine d’AstroQueyras.

Journal de bord de Francesco

Jeudi 13 juillet, quelques jours avant le grand départ

Il est 23h30 lorsqu’un étrange véhicule venu du nord s’arrête devant mon domicile. Un grand break Volvo jonché d’un petit dôme blanc et totalement couvert de panneaux solaires. La porte côté conducteur s’ouvre. Un colosse en sort, c’est Magnus. L’homme des horloges.

Il vient de parcourir près de 1600 bornes pour nous rejoindre depuis la Suède. Sa voiture est bardée de dispositifs électroniques qu’il a conçus en un temps record, afin de permettre à l’horloge atomique de fonctionner en continu durant tout le trajet vers Saint-Véran. Bruno est déjà là, ainsi que Michel venu de Maubeuge.

Maria et moi lui avons préparé un plat de pâtes. Affamé et affable, Magnus le dévore tout en nous racontant ses aventures, un bon verre de vin à la main. La nuit s’annonce des plus courtes. Lui et Bruno ont prévu de tester le matériel expérimental avant de reprendre la route ce vendredi matin. Mais un rapide coup d’œil à l’horloge, celle de mon four, montre qu’il est déjà 1h30… et nous sommes toujours à table. Nous sommes censés nous lever dans 2h30 pour la grande transhumance vers les Alpes. Je les laisse, je monte me coucher. Ils ne dormiront pratiquement pas.

Mais pourquoi un Suédois débarque-t-il chez moi au beau milieu de la nuit avec un tel matériel ?

Lorsqu’en janvier 2023, nous avons imaginé cette mission, Bruno physicien et ingénieur au laboratoire de temps-fréquence de l’Observatoire royal de Belgique , avait proposé une expérience rare qui exploiterait le fait de passer une semaine à 3000 m d’altitude. Pourquoi ne pas embarquer une horloge atomique là-haut, afin de montrer que le temps s’écoule plus rapidement en altitude qu’en plaine ? Non pas parce que l’on s’ennuierait moins au sommet d’une montagne, mais bien parce que le temps s’y écoule vraiment plus vite !

En effet, lorsque nous nous trouvons en altitude, nous sommes un peu plus éloignés du centre de la Terre, et le champ de gravité perçu est un peu plus faible. Dit en quelques mots, nous pesons un peu moins là-haut qu’en plaine, car nous sommes légèrement moins attirés par la Terre. Et selon la théorie de la Relativité générale proposée par Albert Einstein en 1915, l’écoulement du temps dépend de la gravité.

Certes, il ne faut pas s’attendre à observer une différence avec une simple montre. Mais l’effet est pourtant bel et bien réel. Il devrait pouvoir être détecté en comparant le temps donné par deux horloges atomiques ultraprécises, une qui, pour simplifier, resterait à Bruxelles, et l’autre qui passerait un séjour à haute altitude. Après un séjour de 8 jours à 3000 m d’altitude, l’horloge embarquée devrait afficher une avance de l’ordre de 50 milliardièmes de secondes par rapport à celle restée sur la plaine.

Cet effet a magistralement été exploité par le réalisateur Christopher Nolan dans son fameux Interstellar, l’un des films de science-fiction les plus extraordinaires de tous les temps. Comment oublier cette scène où après avoir quitté sa fille enfant pour un voyage spatial dans le voisinage du puissant champ gravitationnel d’un trou noir, il revient sur Terre, et découvre que sa fille est désormais très âgée, au seuil de la mort, alors que lui, n’a pratiquement pas vieilli. Le temps s’est écoulé plus lentement près du trou noir que sur Terre, de la même manière que le temps s’écoulera plus lentement à Bruxelles ou Mons qu’à l’observatoire de Saint-Véran.

Bon clairement, imaginer réaliser une telle expérience relève de ce grain de folie que nous apprécions tout particulièrement au MUMONS. Mais voilà, entre l’idée et sa concrétisation…

La seule horloge que nous pourrions embarquer est une horloge déclassée de l’Observatoire royal, dont la technologie est certes un peu dépassée au vu des standards les plus récents, mais qui pourrait suffire pour ce « proof of concept ». Mais voilà, cette horloge se trouve à Stockholm pour y être réparée par Magnus Danielson, un ingénieur en télécommunication, amateur passionné par les horloges atomiques, à tel point que beaucoup de professionnels du monde entier n’hésitent pas à lui confier directement leurs horloges récalcitrantes.

Mais la folie ayant tendance à être communicative, lorsque Bruno écrit à Magnus pour lui parler du projet et lui demander s’il peut récupérer l’horloge au plus vite nous sommes alors à moins de deux semaines du départ , Magnus se propose immédiatement de nous accompagner là-haut. Là, ça devient sérieux !

Bruno et Magnus nous expliquent les défis techniques à relever. C’est que l’horloge doit être alimentée en permanence en électricité depuis son point de départ en Suède jusqu’à l’observatoire du pic de Château-Renard. Des récepteurs devront aussi être connectés à chaque instant aux constellations de satellites de positionnement ce qui explique l’étrange dôme sur le toit de la voiture de Magnus qui cache une antenne très particulière.

Sans oublier l’obstacle qui nous semble le plus effrayant : éviter à l’horloge d’encaisser des chocs trop importants… Et c’est là que le doute nous assaille : quiconque est un jour monté à l’observatoire de Saint-Véran sait à quel point la piste de 11 km de long qui relie le village de Saint-Véran – la plus haute commune d’Europe, située à 2000 m d’altitude – à l’observatoire est impitoyable, avec ses ornières, ses portions défoncées, et j’en passe. Il va falloir clairement trouver le moyen de protéger sérieusement le matériel si on désire l’acheminer là-haut sans heurt.

J’avoue commencer par ne plus y croire, tant les défis à relever sont importants et le temps disponible pour y parvenir des plus courts. Cette idée séduisante est en train de tourner au cauchemar. Le temps presse. Mais qu’est-ce qui nous a pris ? Notre enthousiasme nous aurait-il cette fois conduits trop loin ?

Les préparatifs logistiques dépassent l’entendement. Nous brainstormons régulièrement afin de tenter de trouver les meilleures stratégies. Magnus doit arriver en Belgique le jeudi 13 juillet et entamer la longue descente vers les Alpes le vendredi 14. Mais l’Observatoire royal ne dispose plus de chambre disponible pour l’héberger. Qu’à cela ne tienne, il passera la nuit chez moi. Tout comme Michel venu de Maubeuge et Bruno. L’horloge pourra ainsi être alimentée via mon réseau électrique.

Le vendredi matin, Maria, Michel et moi prenons la route, direction le Queyras, avec comme destination finale non pas Saint-Véran, mais Abriès. Oui, acheminer une horloge atomique jusqu’en haut d’une montagne ne suffisait pas à l’équipe. Maria nous avait proposé un sacré défi qui, lui aussi avait soulevé l’enthousiasme d’une bonne partie de l’équipe : tenter d’admirer un animal rare et fascinant, qui ne vit que dans un endroit bien précis du Queyras, une salamandre aux caractéristiques étonnantes qui n’accepte de montrer le bout de son nez qu’à l’aube, et à la seule et unique condition que le taux d’humidité atteigne au moins 70%.

Il fallait donc imaginer une trajectoire qui rende compatible horloge et salamandre. Nos cerveaux ont frisé la surchauffe. Ahahah.

Victor et Julien démarreront le samedi. Thomas quittera quant à lui la Corse le vendredi soir.

Bruno démarre donc en même temps que nous le vendredi matin, mais avec Magnus, pour l’épauler tout au long du périple. Or, Bruno faisant aussi partie de l’opération Salamandre, il devra d’une manière ou d’une autre quitter Magnus et rejoindre l’équipe Salamandre.

Les scientifiques de l’Observatoire royal ont trouvé un logement pour Magnus à Grenoble : quand des amis d’amis t’offrent le gite et le couvert à la condition que tu leur apportes une bière belge et que tu leur expliques en quoi consiste ton projet un peu cinglé.

Nous partons donc à deux voitures, direction Grenoble, où nous laisserons Magnus et récupérerons Bruno sur une aire d’autoroute.

Mais les complications ne cessent de s’accumuler. Nos deux amis biologistes, Xavier et Renaud doivent faire face à un imprévu. Ils ne pourront pas nous rejoindre avant quelques jours. Or, c’était eux qui devaient emporter le matériel de Michel. Comment faire ? En faisant nôtre la devise des Shadoks : s’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème.

Nous démarrons donc bien le vendredi matin pour Grenoble, mais en passant par la campagne de Cambrai… pour déposer chez Victor le matériel de Michel qui pourra être embarqué par Julien qui ne reviendra de vacances que le vendredi soir. C’est chaud… mais ça marche !

La route se déroule sans encombre. Nous arrivons à Abriès avec une petite heure de retard sur le timing prévu, non sans avoir découvert l’extraordinaire col d’Izoard au coucher du Soleil : un spectacle inouï, quelques minutes d’éternité gravées à jamais dans nos esprits.

L’accueil au gite est des plus chaleureux : une cuisine simple, riche, qui rassasie nos corps fatigués. C’est qu’il nous faut prendre des forces pour aller à la rencontre de la salamandre. Et si la dernière nuit n’a compté que deux ou trois heures de sommeil, celle qui s’annonce ne sera guère plus généreuse : le petit déjeuner est prévu à 3h du matin !

Je dois bien avouer que la sonnerie du réveil a été un véritable coup de massue. Mais le jeu en vaut la chandelle. Après avoir petit-déjeuné, nous nous glissons à l’extérieur pour rejoindre la voiture. L’obscurité est totale. Nous sommes désormais dans un tout autre univers. Exit la pollution lumineuse et tout ce qu’elle représente. Bonjour la nature sans artefact, avec son Soleil du jour et ses milliers de soleils de la nuit. Car c’est un ciel d’encre qui nous accueille. À en frémir. La Voie lactée est resplendissante. Le double amas de Persée accroche le regard avant même de retrouver les constellations. La grande galaxie d’Andromède est en train de se lever. Époustouflant.

Maria nous guide alors jusqu’au sanctuaire des salamandres. Arrivés sur place, nous désinfectons nos chaussures pour éviter d’amener le moindre champignon qui pourrait se révéler mortel pour la salamandre. Maria nous explique en effet que ces créatures extraordinaires ont déjà été anéanties dans certains pays d’Europe : nous nous devons de prendre les plus grandes précautions !

Si le ciel est dégagé, l’atmosphère est un peu trop sèche pour que Dame Salamandre daigne se montrer. Peu importe. Lampe frontale allumée, nous scrutons la moindre zone humide, le moindre filet d’eau. La réserve est toujours plongée dans la nuit la plus profonde.

Mais voilà que les sommets des montagnes qui nous encerclent apparaissent, fantomatiques, comme recouvertes de neige. Le blanc est désormais remplacé par une chaude couleur orangée. Nous n’avons plus besoin de la frontale. Nous avançons, mais toujours aucune trace de la salamandre. Qu’à cela ne tienne, ce n’est que partie remise. Il est 6h. Nous nous trouvons dans un lieu hors du commun. Autant l’explorer.

Nous nous lançons alors à l’assaut du refuge du mont Viso. Nous nous élevons dans un paysage extraordinaire, caressés ici et là par la lumière rasante de ce Soleil levant. La vue et les sensations sont enivrantes. Les paysages sont immenses. La vue et l’esprit sont libérés de tout obstacle. Le mont Viso et ses 3800m d’altitude trône devant nous, avec tout ce qu’il représente : l’Italie à portée de main et toutes ces histoires, souvent tragiques, de migration.

Le refuge est en vue. La réserve est tapissée de fleurs, plus étonnantes les unes que les autres. Je ne comprends pas pourquoi ici en altitude nous observons cette flore et cette biodiversité rares, alors que plus bas, nous n’avons rien vu. C’est là que les potes me rappellent l’évidence : nous avons traversé la partie basse de la réserve dans la nuit la plus complète. Logique, donc, que nous n’ayons rien vu.

Et en effet, le retour sera époustouflant. Et je pèse mes mots. Je ne me souviens pas avoir admiré des paysages aussi enchanteurs, tout droit sortis d’un conte de fée : des montagnes puissantes, des cascades vertigineuses, des torrents, des fleurs à n’en plus finir, des papillons partout, le tout baignant dans une lumière à couper le souffle. Et je ne vous parle pas de la vue qui s’offre à nous depuis le refuge… waouh ! Plus de 15km de parcourus, pour une dénivellation positive de 700m… Pas de salamandre, mais quel spectacle. Instants de grâce.

Le temps passe… Nous ne pouvons plus trainer, car un rendez-vous important nous attend déjà à Saint-Véran. Nous avons pu modifier les plans les plans, c’est fait pour être changés, non ? et faire en sorte que l’horloge atomique puisse être acheminée vers l’observatoire ce samedi, un jour plus tôt que prévu.

Nous ne remercierons jamais assez les responsables d’AstroQueyras, l’association qui gère l’observatoire avec passion, compétence et souplesse ! Nous avons donc rendez-vous à 14h avec Sébastien, responsable opérationnel de l’observatoire. Il nous rejoindra avec le véhicule tout-terrain de l’association pour transférer l’horloge atomique du village de Saint-Véran à la base vie.

Magnus doit pour cela nous rejoindre depuis Grenoble… un sacré périple, qui comprend une longue traversée montagneuse qui demande une forte concentration. Or, Magnus a rencontré beaucoup de problèmes techniques, aussi bien durant le trajet Mons-Grenoble, qu’à Grenoble même. La nuit lui a permis de résoudre bon nombre de soucis, mais il est épuisé au moment d’attaquer l’épisode le plus délicat et stressant de l’aventure : la montée vers l’observatoire. Il nous rejoint à Saint-Véran. Cette fois, le grand moment est venu. Bruno installe le vieux support pneumatique récupéré à l’observatoire dans le 4×4 d’AstroQueyras. Magnus, habituellement si détendu et serein, est ici très tendu.

L’horloge sera alimentée durant la montée par un ensemble de six grosses batteries au plomb. Le transfert des batteries, très massives, couplées deux à deux, est aussi difficile physiquement que stressant psychologiquement. Et puis des imprévus, encore. Impossible de fixer l’antenne satellite sur le toit du 4×4. Qu’à cela ne tienne, Bruno tiendra à la main l’antenne satellite durant toute la montée, la maintenant à l’extérieur du véhicule pour être sûr de ne jamais perdre le signal en provenance des satellites. Épique.

Nous pensions que le transfert de la voiture de Magnus vers le 4×4 allait prendre 20 minutes. L’opération a nécessité près de deux heures ! Peu importe, les voici désormais en route vers les hauteurs du Pic.

Maria, Michel et moi devons désormais quitter Saint-Véran, direction Briançon, pour y rejoindre Victor, Julien et Thomas. C’est la première fois que nous allons rencontrer Thomas de visu. Ce grand ami de Victor a quitté la région montoise il y a près de 10 ans pour s’installer sur l’île de beauté. Dès les premiers échanges, nous comprenons que nous avons à faire au compagnon d’aventure idéal, aussi efficace et constructif qu’agréable. Sacré Victor, tu ne t’es pas planté sur ce casting. Victor et Julien vont se concentrer quant à eux sur la réalisation de la fameuse photo des 400, en vue de l’exposer dans le cadre d’Explorer l’Invisible, notre prochaine expo au MUMONS, nous en reparlerons en détails.

Après avoir pris notre premier repas ensemble pour rappel, Bruno et Magnus sont à cet instant déjà à l’observatoire, Xavier et Renaud sont encore coincés en Belgique , nous rentrons à l’hôtel l’esprit léger et serein. Ces premiers échanges sur le terrain nous rappellent à quel point ce que nous nous apprêtons à vivre s’annonce unique. Une aventure humaine, scientifique et artistique placée sous le signe de l’émulation et de la bienveillance.

Mais voilà, énième rebondissement dans cette aventure… L’hôtel est déjà fermé, et nous ne nous souvenons plus du code pour accéder à l’intérieur de l’établissement ! Nous en avons juste un vague souvenir… nous tentons encore et encore diverses combinaisons, en vain. C’est là que l’inventivité et la folie du groupe se manifeste entre ceux qui veulent carrément escalader les murs pour accéder à nos balcons, ceux qui tentent de trouver la faille dans le dispositif de sécurité, et ceux qui comme moi, beaucoup plus scolaires, tentent d’appeler le concierge… ahahah, nous vivons des scènes complètement burlesques et surréalistes ! 

Mais je comprends déjà à cet instant un point essentiel. Cette mésaventure amusante a contribué à souder dès le départ le groupe. Nous n’aurions pas pu rêver de meilleur teambuilding, un escape game à l’envers en quelque sorte ! Je ne vous dirai pas comment nous avons réussi à rejoindre nos appartements, mais quel souvenir !

Il est désormais vraiment temps de se reposer. Avec 4h30 de sommeil au total sur deux nuits, plus de 1100km au compteur, une rando nocturne avec plus de 700m de dénivelé, une charge mentale non négligeable pour gérer au mieux les différents transferts et rendez-vous, retrouver un lit correct s’avère une bénédiction.

Dimanche 16 juillet

Réveil en douceur. Les folles épopées des derniers jours semblent relever d’un rêve étrange.

Nous nous retrouvons au rez-de-chaussée de l’hôtel pour un petit-déjeuner copieux et détendu. Il est bon d’être ici, ensemble. Se voir et échanger sans écrans interposés. Nous prenons le temps de nous retrouver, de faire connaissance. Le lieu est sympa. Le personnel de l’hôtel est des plus agréables.

Le moment est venu de faire le point sur notre alimentation là-haut. Maria nous a dégoté des recettes très raffinées et faciles à mettre en œuvre, Victor nous propose une recette familiale de poulet à l’iranienne. Quant à Thomas, il nous révèle qu’il a débarqué sur le continent avec de la charcuterie corse. Je pense vraiment que l’on va bien manger là-haut cette année !

L’heure est venue de passer à la phase opérationnelle… un peu de rigueur serait la bienvenue, car on ne peut pas vraiment se planter : une fois arrivés là-haut, impossible de redescendre acheter le pot de confiture que l’on aurait oublié ! Tableaux Excel à la main, Maria, Michel et Thomas prennent la direction des opérations.

Direction une grande surface de Briançon.

Arrivé à la caisse, je constate que nous avons été bien sages et raisonnables : je n’avais jamais vu autant de légumes et produits frais dans les caddys !

Quant à l’incontournable bouteille de Génépi, elle fait elle aussi partie du voyage.

Nous quittons Briançon.

Passage par le col d’Izoard, envahi par les cyclistes et les motards. Je suis heureux d’avoir pu l’admirer au coucher du Soleil et quasiment désert vendredi, lors de notre arrivée dans le Queyras. Nous voici à Saint-Véran. Petite pause bien sympa sur les hauteurs de la vallée du Guil, au Soleil, en attendant l’arrivée de Sébastien et de son 4×4, prévue à 14h.

Il est là. Moment délicat du chargement. Nous empilons le matériel et les valises dans le tout-terrain. Thomas a rempli son Kangoo avec les vivres. Il va tenter la montée avec son véhicule. Venant de Corse, il n’a pas l’air très effrayé par les pistes de montagne. Mais, toujours cette question lancinante : jouable ou non ? Sébastien le rassure, lui refile quelques conseils pour bien aborder les zones délicates.

Michel et Julien, impatients d’arriver là-haut et de commencer le travail, attaquent la montée par la piste, en mode marathonien. Maria et moi décidons de monter à notre rythme. J’essaie de retrouver le chemin des pistes pour rejoindre l’observatoire. Sentier dans mes souvenirs plus pentu, mais bien plus agréable que la piste. Mais j’hésite… À gauche ? À droite ? Ceux qui ont suivi nos précédentes aventures, savent à quel point ces montées nous ont créé par moment des sueurs froides, lorsque nous étions un peu égarés. Je suis plus que jamais désespéré par mon manque total de sens de l’orientation. La sagesse l’emporte et nous rejoignons finalement la piste, non sans avoir découvert de magnifiques endroits en cours de route.

Le chemin est très long. Une piste de 11km qui serpente encore et encore, et qui s’élève progressivement de 2000 à 3000m. Les vues sur la vallée sont très belles. À un certain moment, une coupole blanche est visible tout en haut… Je ne me réjouis pas, car je sais que ce signal est traitre, il n’est pas là pour me dire que nous sommes bientôt arrivés, mais comme un rappel un peu sadique pour nous montrer à quel point, au contraire, nous sommes encore loin de l’objectif.

Il est vrai que nous sommes partis un peu tard. La route semble n’en plus finir. Heureusement, les fleurs sont nombreuses et les marmottes commencent à faire leur apparition. Elles sont partout ici. Au fur et à mesure de notre montée, nous les découvrons de moins en moins farouches, un spectacle magnifique. C’est très gai et vivifiant. Et voilà que nous rencontrons des marmottons, avec cette maladresse et cette inconscience propres à la jeunesse probablement. Nous nous amusons à les photographier de plus en plus près.

Le Soleil nous revient. Sa lumière se fait rasante, chaleureuse, de plus en plus belle. Cette fois, nous approchons vraiment. Nous passons la barrière que Giuseppe avait remise en couleur il y a quelques années. Le Viso fait son apparition. Les coupoles sont désormais à portée de main. Nous y sommes. Bruno vient à notre rencontre. Mais que ce lieu est extraordinaire ! L’équipe a déjà installé son matériel astro sur la devanture de l’observatoire.

Nous rejoignons les copains à l’intérieur. Ils sont en train de préparer le repas. Merci les gars. Ça va faire du bien. Les vivres ont déjà été rangés méthodiquement dans le cellier. Nous nous répartissons les chambres, avec toujours les plus malicieux qui essaient d’éviter les chambres occupées par les ronfleurs.

Nous retrouvons Sébastien qui nous explique les nouvelles procédures, bien plus simples qu’auparavant, tout a été mis en place pour faciliter la vie des équipes. Top. Première rencontre avec Liv, la jeune animatrice arrivée peu de temps avant nous, une vraie passionnée du ciel. Elle vient de Marseille et s’apprête à passer trois semaines ici à la base. C’est elle qui va accueillir les touristes d’une nuit. Son enthousiasme, son ouverture et sa curiosité font plaisir à voir !

La montée a été rude : une bonne douche l’eau est ici plus précieuse qu’ailleurs , un bon repas et ça repart. Une sensation diffuse circule dans la petite cuisine de la station, une forme de sérénité, d’insouciance, de plaisir de vivre ensemble ces instants, de joie intérieure. Premières discussions passionnantes entre personnes venues de tous les horizons. Mais quelle richesse.

Pour les astrophotographes et spectroscopistes, la soirée sera consacrée à régler leurs montures, à peaufiner les alignements optiques.

Lundi 17 juillet 2023

Premiers tours de reconnaissance à l’extérieur de la base. Les fleurs sont omniprésentes. Je ne m’attendais pas à cela. Je ne me souvenais pas que ces paysages, si arides lors de notre dernière mission, pouvaient à ce point exulter de vie. Le printemps alpin est prodigieux. C’est que la neige régnait ici encore en maître il y à peine un mois.

Je prends un peu de temps pour commencer à raconter nos récits, je m’installe dans la grande coupole. Seul le hurlement des rafales de vent me tient compagnie. Enfin, pas tout à fait. Bruno et Magnus sont en pleine discussion dans la salle de contrôle attenante à la coupole, je les entends d’ici. C’est qu’ils en ont des problèmes à régler. Et ils vont tous les régler, un à un. Impressionnant. Leur niveau de concentration doit les épuiser. J’éprouve même quelques remords à avoir poussé Bruno à concrétiser son idée d’expérience. Finalement, je lui impose en quelque sorte à bosser ferme durant cette mission qui devrait constituer un temps de déconnexion. J’essaie d’oublier ces scrupules un peu dérangeants en me disant que oui, là, il fournit un gros effort intellectuel, mais qu’il n’est pas près d’oublier ce qu’il est en train de vivre… Il est jeune, et aura tout le temps de se reposer plus tard. Hum. Je ne devrais pas penser ce genre de choses. J’ai honte. Je l’avoue.

La nuit commence à tomber sur le pic. Le ciel n’est pas extraordinaire cette année. Certes, il est beau, la Voie lactée crève les yeux, mais sans aucune commune mesure avec le ciel extraterrestre dont nous avions pu bénéficier lors de certaines nuits de la précédente mission. Toujours ce vent glacial à décorner les bœufs, qui souffle en permanence. Il ne nous lâchera pratiquement pas de tout le séjour.

Après avoir enfilé nos scaphandres ou ce qui y ressemble ! Maria et moi rendons visite à Julien et Victor. Ils sont en train de lancer leur grand chantier : celui de la fameuse photo des 400. Nous arrivons au moment où la première acquisition d’image est sur le point d’être lancée.

Le projet est des plus ambitieux. L’idée est de réaliser une photo à très haute résolution d’une portion de la Voie lactée, rarement imagée depuis nos contrées plus boréales, qui sera composée d’au moins 400 millions de pixels ! Objectif : en réaliser un grand tirage qui pourra être intégré le moment venu à la prochaine exposition du MUMONS, Explorer l’Invisible.

Pour y parvenir, Julien et Victor disposent chacun d’une lunette de très haute qualité couplée à une caméra extrêmement sensible. Ces instruments présentent un champ de vision plus grand que ceux des classiques télescopes, mais encore bien trop petits pour espérer photographier toute la zone concernée en une seule prise. Ils ont donc divisé cette région du ciel en 30 tuiles et ont programmé leur dispositif pour que les instruments se déplacent automatiquement d’une tuile à une autre, en prévoyant un recouvrement suffisant des différentes zones afin de pouvoir par la suite assembler toutes les images.

En soi, parvenir à réaliser une telle mosaïque est déjà un acte ambitieux, tant la quantité de données à traiter est immense. Surtout si l’on comprend que chaque tuile doit en réalité être photographiée de six façons différentes avant d’être connectée aux autres !

Ainsi, Victor et Julien doivent réaliser, pour chaque tuile, une photo de 300 secondes de pose qui n’enregistrera que la couleur rouge très particulière émise par l’hydrogène présent dans les nébuleuses le fameux rouge H-alpha. Même procédure, mais cette fois avec une couleur bien précise émise par l’oxygène. Et, enfin, un troisième cliché qui cible une autre couleur bien spécifique émise par le soufre.

À cela, ils vont ajouter des photos prises au travers de filtres moins sélectifs, centrés autour du rouge, du bleu et du vert. Pour chacun de ces filtres colorés, 10 photos de 30 secondes chacune… Cela nous donne donc 33 photos qui devront être assemblées pour réaliser une seule tuile… une des 30 tuiles de la mosaïque ! Du grand art d’un point de vue technique, tant au niveau de la prise de vue que du traitement, mais aussi un impressionnant geste artistique, car toutes ces photos sont obtenues dans un premier temps en noir et blanc. Et l’idée est bien de parvenir in fine à une image en couleur qui soit belle, équilibrée et douce, et dont le style dépendra de la patte de l’astrophotographe.

En observant et en écoutant Julien et Victor, à la pointe de l’astrophotographie du ciel profond, en les voyant piloter leurs prises de vue depuis une tablette, je prends conscience du temps passé. C’est que je deviens vieux. Je me remémore cette époque où nous venions de lancer le cercle d’astronomie, et où certains tentaient d’immortaliser leurs premières nébuleuses et galaxie. L’imagerie n’était qu’argentique. C’était un autre univers, un autre monde. Photographier une galaxie pouvait demander une heure, durant laquelle le photographe devait en permanence rester concentré sur une étoile guide à peine visible, et traquer la moindre dérive de l’instrument et la corriger manuellement, en temps réel. Photographier de tels objets en ville était impossible et il fallait rouler, encore et encore, afin de trouver un lieu exempt de lumière parasite. Et lorsqu’au petit matin, la pellicule photo était déposée au labo pour y être développée, et que l’on se rendait compte qu’elle avait été mal positionnée dans le boitier, et que tout cela n’avait servi à rien…. Et quand cela fonctionnait, les résultats n’avaient rien à voir avec la finesse des images actuelles, même avant traitement.

Victor met en route la première acquisition. Cinq minutes plus tard, le résultat s’affiche sur l’écran de sa tablette. Époustouflant ! D’immenses nébuleuses font leur apparition sur un fond constellé de milliers d’étoiles, de centaines de milliers d’étoiles même. Même le logiciel éprouve des difficultés à s’y retrouver, perdus par le nombre d’étoiles présentes dans le champ !

Nous utilisons le mode tactile de la tablette pour agrandir l’image, et… waouh… Des nébuleuses, encore et encore. Ce premier élément d’image donne déjà le tournis.

Pourtant les copains sont loin d’être satisfaits. Observées de très près, les étoiles ne sont pas ponctuelles, mais présentent un défaut : elles sont toutes étirées dans la même direction. Effet de ce vent qui ne cesse de souffler ? D’un problème optique lié au transport du matériel ? Seule la suite le dira. Mais peu importe. Le niveau atteint est déjà impressionnant. Eux aussi sont impressionnés, mais pour d’autres raisons. Victor et Julien viennent de comprendre que même si la finalisation de la mosaïque est loin d’être gagnée, leur pari est en partie gagné. Réaliser ce genre de photos ici depuis les hauteurs noires du Queyras leur permet de gagner énormément de lumière, et donc de se contenter d’une seule image pour chaque couleur spécifique, là où, en plaine, un empilement de nombreuses photos aurait été nécessaire. Ce qui permet de réduire drastiquement les temps d’acquisition et de rendre ainsi ce projet fou compatible avec le temps libre disponible.

Plus je les vois travailler, plus je prends aussi conscience de l’incroyable défi que constitue cette fameuse photo des 400. Et plus je me dis que vouloir insérer cette incroyable image dans notre future « Explorer l’Invisible » fait sens ! Car l’idée de l’exposition est simple : montrer ce que la science et la technologie nous révèlent du monde invisible, ce monde que nous ne voyons pas car trop petit, trop loin, caché… On est pile poil dans le sujet. Restera à voir comment présenter cette photo dans le musée, surtout que vu le temps de traitement qu’elle va demander, elle ne pourra pas être prête pour le vernissage, prévue le 6 octobre prochain. Elle arrivera dans un second temps.

Le moment est venu de rentrer se coucher. C’est que nous avons décidé, Bruno, Maria et moi, de concentrer notre énergie sur le lever du Soleil, prévu vers 6h du matin. Avec la fatigue accumulée ces derniers jours, parvenir à se lever suffisamment tôt relèvera de l’exploit. Mais l’appel du rayon bleu est plus fort que tout. Eh oui, à cette altitude, l’atmosphère est si pure, qu’en l’absence de nuages, le premier rayon de Soleil qui franchit l’horizon est bleu, immédiatement suivi du rayon vert un mythe à lui tout seul , avant que le reste du Soleil ne suive dans la foulée. Un moment magique… qu’il faut bien mériter, mais qui n’est pas toujours au bout du chemin, tant il n’est pas facile à observer ! Et au-delà du rayon bleu, cueillir depuis le pic de Château-Renard un nouveau jour qui se lève, est un cadeau de la Vie que l’on ne peut refuser.

Ce mardi devrait être le premier jour des interviews que nous avons programmées. J’ai comme l’impression que l’on ne va pas s’ennuyer un seul instant !

La suite dans le prochain épisode 🙂